PROLOGUE
Pour Thomas, 2015, c'est l'année de son alternative...scolaire ! Aussi, quand il s'est agi de l'inscrire à un bolsin en Andalousie, il fallut d'abord une négociation avec ses parents. Ses résultats satisfaisants - il est premier de sa classe -ont permis cette seule escapade, avant l'épreuve fin juin. Pour éviter qu'il ne rate trop de cours, devant toréer vendredi matin, tôt, près de Huelva, il prendrait l'avion et repartirait dimanche pour être lundi matin au lycée d'Istres
Deux mauvaises expériences en compagnie low-cost m'avaient définitivement convaincue que l'on était plus proche du transport à bestiaux que du voyage d'agrément. Pourtant, c'était la seule solution. De plus, il fallait faire suivre cape, muleta, ayuda et espada. Aussi, nous prîmes la décision de partir en éclaireurs, faisant la route de notre côté, avec les trastos, dans une voiture remplie de cadeaux, de caisses de vin à offrir aux ganaderos qui nous invitaient dans leurs fincas, pour tienter
Nous partirions mercredi, en fin de matinée, avec, comme premier objectif, de récupérer Thomas, à sa descente d'avion, à Séville, jeudi matin. Certains enfilent les perles. Pour notre part, nous empilons les bornes avec l'avidité d'un enfant devant un paquet de car-en-sac. Tant qu'il y en a, c'est pour nous. Gare à la crise de foi ! Mais, nous sommes à l'abri, éternels croyants, pratiquants actifs, immunisés par le gusanillo, contre le doute et la désaffection
Le reste du convoi décalerait vendredi soir, vers 18 heures : 2 minibus pour 11 élèves et 5 accompagnateurs-conducteurs. Le premier point de rencontre était fixé samedi matin, pour la tienta inaugurale, chez l'ami Salvador Domecq, à Vejer de la frontera. Comme on le dit à Nîmes, ils n'avaient pas intérêt à "rampeller" s'ils voulaient être à l'heure
Pour la troisième année que s'organisait ce stage, les choses prenaient de plus en plus d'importance, tant sur le nombre d'élèves (12) que sur le nombre de kilomètres parcourus (4 000 km). En effet, nous "poussions" jusqu'en Andalousie. Le Maestro Castella nous avait fait l'honneur de nous inviter, dans sa finca, près de Huelva
Comme nous avions, désormais, quelques contacts et amitiés solides vers Trujillo et Fuente de san Esteban, c'était donc un grand tour que nous allions réaliser en une semaine
Pour l'heure, c'est la route des Toreros qui se déroule devant nous. Après Valencia, Requena, Motilla de Palencar, Sisante, San Clemente, Tomelloso, Manzanares, Despenaperros...A La Carolina, c'est presque joué, on est presque arrivés, plus que 300 km
J'étais très partagée entre la carte et le territoire, qu'est ce qui est le plus beau ? En lisant la Michelin, tous les bons souvenirs me revenaient. Je les avais tant parcourues ces routes, par tous les temps, à toutes les saisons, de jour, de nuit, quand elles n'étaient pas encore des "autovias" et qu'au fur et à mesure je surveillais l'avancement des travaux. Ça a eu du bon l'Europe pour financer ces routes, afin que nous descendions avec de plus en plus de confort. Il y a encore 20 ans, nous prenions ces longues lignes droites, étroites, bombées, à toute allure, vers 3h du matin, quand la fatigue était à son maximum, certains malheureux, d'ailleurs, n'en revinrent jamais !
Les toros d'Osborne qui s'égrennent tout au long des kilomètres, nous rappellent que ce pays est décidément le paradis pour tout aficionado, décidé à tenter l'aventure vers le campo et l'Andalousie profonde
Nous retrouvons Thomas aux abords d'un aéroport désert. Nous décidons de lui faire visiter Séville, certes rapidement, nous sommes plutôt Hop on – Hop off, mais le principal sera vu : les arènes, la Giralda et surtout, partout, « huele a semana santa » car les orangers sont presque entêtants tellement ils embaument.
Voici quelques années que je n'étais pas venue, la crise est passée par là, beaucoup de magasins sont fermés. Pourtant, c'est toujours aussi drôle que se cotoient la Hermanda del Baratillo, juste entre deux entrées de la Maestranza, et le Sevilla Sex Center, face au roi de Las Gambas !!! C'est un mélange typique de l'Andalousie extrêmement pieuse et païenne, dans une ambiance très détachée et détendue.
C'est une ville toujours aussi touristique, les grappes de visiteurs japonais, cameras au poing, le disputent aux allemands en claquettes et sacs à dos, croisant des dizaines de collégiens, habillés des uniformes bleu marine et blancs règlementaires.
Nous ne pouvons partir sans une petite cerveza et un plato de jamon, pour bien démarrer ce périple andalou.
La fatigue du voyage se fait sentir et nous décidons de nous rapprocher de Trigueros, un petit village agricole, très charmant, sur la route de Huelva, où se déroulera la tienta du lendemain.
Finca de Los Millares : Les éliminatoires d'un bolsin ont lieu dans cette ganaderia de plus de 1 000 hectares, au nord du village. 26 candidats, 4 par vache.
Comme d'habitude, même si le rendez-vous est fixé à 9h, ON ATTEND...car, dans ce petit monde, il faut attendre, attendre le picador, attendre le cheval, attendre les retardataires qui terminent de s'habiller dans les voitures et qui ne se pressent pas du tout d'ailleurs, attendre le photographe, attendre le secouriste, attendre on ne sait plus quoi !!!
Puis, tout-à-coup, tout va très vite, on est prêt. Les aspirants sont appelés, on leur affecte à chacun un numéro, donnant leur ordre d'entrée, une photo d'ensemble est prise, puis, comme une volée de moineaux, tout le monde aux abris, dans le callejon et le ganadero, du haut de sa loge crie "PUERTA".
Le jury est composé de 10 personnes, installées en surplomb des arènes, chacun avec un carnet de notes. On se croirait au bon temps de "L'école des fans" où les petits brandissaient des pancartes avec les notes. Une photo est prise après chaque vote, pour chacun des 4 candidats en lice, des notes qui leur sont affectées.
Le président Eduardo Ordoñez a trouvé ce moyen pour qu'il n'y ait plus de contestation possible. Thomas est appelé une deuxième fois, car le jury demande à le revoir, c'est toujours bon signe. Il obtient 37 points sur 50. Il est bien placé.
Les résultats seront publiés mardi prochain. Nous verrons à ce moment là.
De toutes les manières, c'est un exercice difficile, mais très formateur, assez ingrat, qui se rapproche de ce que pouvait être, il y a bien longtemps, les radio-crochets !
Dans le village, quelques carrioles déjà très décorées de farolillos attendent impatiemment le moment du départ pour le Camino, qui va démarrer à Pentecôte. Les pélerins traverseront le féérique Parc National de Doñana jusqu'au village si typique du Rocio.
Nous attendons les élèves. Ayant voyagé toute la nuit, ils vont arriver, manquant de sommeil et devront toréer le tentadero de Salvador Domecq, aussitôt pied à terre !
Rendez-vous est pris à 10h30...
"7h36 : Bien arrivés à Vejer ". C'est par ce petit texto que j'apprends que les 2 minibus sont là, après une nuit de route.
La venta "Los Olivos", à l'entrée du village, offre toute les commodités à la fine équipe de voyageurs, pour un petit-dejeuner réparateur, avec un petit somme, en attendant de nous retrouver, vers 9h. D'ailleurs, il vaudra mieux qu'ils restent tranquillement là, en bas de Vejer, qui est sur un piton rocheux. Toutes les rues sont extrêmement étroites, les passages exigus et s'aventurer avec une voiture est déjà un grand moment de conduite, alors, des minibus, ce serait pure folie !
Quand nous les retrouvons, nous constatons que les enfants sont frais comme des gardons. Les conducteurs, eux, accusent un peu le coup, mais sont enchantés d'avoir passé une nuit, certes fatigante, mais qui, ils le savent, leur permet d'atteindre des endroits où ils vont vivre de très bons moments. La route a été très calme, sauf un gros orage à hauteur de Cordoue.
Quelques tartines et un jus d'orange frais plus tard, le convoi s'ébranle : à peine 8km nous séparent de la finca de Don Salvador Domecq. Il fait un soleil superbe, une très belle lumière matinale, il fait beau mais frais.
En contrebas de la route nationale, bordée de pins méditerranéens, voici l'entrée qui indique :"El Torero". Un chemin de terre sillonne à travers des chênes liège superbes, de chaque côté, des vaches noires, rousses, colorées, des petits veaux, puis dans un autre enclos, de magnifiques toros, aussi sérieux que placides. C'est un endroit qui regorge de gibier, ici un faisan, là des lapins, toutes sortes de petites vies, dans ces vallons, qui offrent un spectacle à couper le souffle, aussi impressionnant pour un jeune qui vient pour la première fois que pour un aficionado, même aguerri !
L'ami Salvador arrive. Il est souriant et toujours d'une grande gentillesse, matinée d'une politesse qui laisse entrevoir une grande éducation.
Il nous a préparé 4 vaches, trois noires, une rouge. Du haut des corrales, elles sont superbes.
Le personnel est aguerri à cet exercice, tout le monde est prêt, tout peut commencer, chacun connait son rôle, chacun prend sa place. Le ganadero s"installe dans une petite loge tout confort, avec classeur et papiers pour prise de notes.
Les élèves les plus grands débutent, d'abord Thomas, puis El Rafi, suivi de Solalito. Les vaches sont piquantes bien qu'un peu longues à déclencher leur charge au cheval. A la muleta, c'est très formateur car elles "demandent les papiers" !
Puis, c'est au tour des plus jeunes, Geoffrey et Fanny, en tête, puis Quentin, Nino, s'essayent, avec plus ou moins de réussite, mais toujours avec l'envie de bien faire, quelques jolis gestes, malgré les difficultés posées par ces animaux superbes et racés.
Les plus jeunes se tiennent discrètement derrière les burladeros, tiraillés par l'envie d'y aller, mais tenaillés par la peur de franchir le pas. Il y a un principe au CFT : on n'oblige personne, sinon ce serait contre productif. Aussi, quand un élève ne "se le sent pas", on n'insiste pas. Il sortira à une autre vache !
C'est donc avec la perspective de Vejer de la frontera perché sur son piton rocheux, que vont se succéder, durant trois heures, les quatre vaches, sous l'oeil extrêmement vigilant de l'éleveur.
Nous déjeunons dans le patio d'une venta voisine et regagnons les environs de Séville, pour nous reposer car le manque de sommeil se fait cruellement ressentir. Si nous avons la forme, ce soir, nous irons pointer le bout de notre nez à Séville, pour apercevoir la Maestranza, illuminée, depuis le pont de Triana et humer l'air à la fleur d'oranger, sur le Guadalquivir.
Demain, encore une grande journée : le matin, le Maestro Castella nous invite, chez lui, puis nous irons, le soir, à la novillada piquée, applaudir Pablo Aguado, chaperonné par l'inénarrable Luisito.
Le rendez-vous était fixé avec Michel, à 11 heures, à la gasolinera Cepsa. Après avoir laissé Thomas à l'aéroport, nous voilà à quelques encablures de la finca du Maestro CASTELLA, « La Heroica ».
Nous serpentons sur de petites routes, au milieu de champs encore verdoyants, puis traversons un petit lieu-dit, les maisons se font plus rares et enfin, un chemin d'une terre ocre s'ouvre devant nous. Aucune indication, aucune pancarte, la discrétion est de mise. Le convoi roule sur quelques centaines de mètres, puis, le chemin se fait de plus en plus accidenté, les pluies, dans ces régions, ne tombent pas souvent mais s'abattent avec violence. Le ravinement laisse de profondes ornières. L'accès est difficile, mais, cela me paraît être voulu : accéder à la maison du Maestro, ça se mérite !
Enfin, nous passons un portail, une longue allée, et arrivons non loin de plusieurs bâtiments blancs, rehaussés d'un bleu profond. Nous apercevons une longue silhouette, fine, c'est Papa Sébastien et ses deux petites filles, il est en train de regarder de superbes chevaux avec elles.
Il se dirige vers nous, détendu, souriant, serein, dans son environnement. Ici, dominant une belle vallée, on est loin de tout, de tous, c'est la déconnexion totale, pour se ressourcer, en pleine nature, au milieu des chevaux, c'est idéal.
Le Maestro vient à notre rencontre. Il a roulé toute la nuit, depuis la Camargue, où il tientait toute la semaine, pour être au rendez-vous ce matin, après une crevaison, sur le chemin. Il est là, frais et dispo comme si de rien n'était. C 'est ça les grandes vedettes, tout paraît facile.
Les élèves se disposent en demi-cercle devant lui et les présentations se font. Il nous souhaite la bienvenue, chaleureusement. Il nous explique que c'est là qu'il vit, tranquillement, et il enchaîne : "Beaucoup de gens disent que je suis sauvage, mais ce n'est pas du tout ça, j'aime qu'on me laisse tranquille les jours où je torée !". Son épouse Patricia nous fait le plaisir de nous rejoindre. Tous les quatre nous donnent un très beau tableau d'une famille heureuse, c'est un vrai plaisir de les voir. Les petites filles n'avaient pas vu leur papa depuis une semaine, elles s'accrochent à lui, heureuses de le revoir enfin ! Elles arborent toutes les deux, de superbes petites chaussures s'éclairant quand elles se mettent à courir, elles rient beaucoup et s'en amusent !
Nous offrons nos cadeaux et très vite, le Maestro nous donne son programme : il a fait enfermer deux petits becerros pour un entraînement, dans son arène couverte, suivi d'un apéritif. Mais, avant tout, il tient à nous présenter ses chevaux, car il a cette passion qui le mène à l'élevage.
Le bâtiment abritant les écuries nous permet d'admirer de superbes spécimens, de tous types et surtout, un cheval au pelage couleur perle, nacré, extrêmement fin.
Puis, nous pénétrons dans les arènes, pour un leçon de tauromachie, dirigée par le Maestro CASTELLA, excusez du peu !
Tout le monde se prépare, les animaux sont vus sur les corrales, par les professeurs. Tout est ok, on peut commencer.
La séance est très formatrice, le Maestro est intéressé par les plus avancés, El Rafi et Solalito, qui font montre de leur bon niveau. Il les conseille, depuis le burladero, n'hésite pas à sortir et accourir, dès qu'un des élèves se fait bousculer, demande de l'eau pour un qui vient de faire un rouler bouler et s'occupe de remettre du calme dans tout ça.
Patricia est venue assister à cette leçon, tout en donnant le biberon à la plus jeune, tandis que Papa surveille toujours du coin de l'oeil la plus grande, qui s'affaire, auprès de quelques poulains, dans une cage voisine.
Durant la séance, le Maestro donne des petits trucs à connaître qui se révèlent fort utiles. Les plus jeunes se livrent à un exercice de déplacement face à l'animal, courant vers la queue, tout en le faisant passer avec la muleta vers l'arrière. Il faut faire, refaire, encore et encore.
Puis, la séance de deux bonnes heures tire à sa fin. Une photo de groupe immortalisera ce grand jour. Ce sera l'occasion pour le Maestro, que nous venons de remercier, de nous confier sa vision de son métier, de son art, du travail à fournir : « Il faut s'entraîner, ne pas avoir peur de se faire mal, se « sacrifier » comme il aime à le répéter, et surtout s'accrocher, y croire, se donner les moyens » .
L'ambiance détendue permet aux jeunes de le questionner, « comment vous entrainez-vous ? », « Y a-t'il une préparation particulière avant une course ? » ...et c'est l'occasion, pour le Maestro, de se livrer, en racontant des anecdotes sur ses débuts. Tout jeune novillero, il fut envoyé, tout seul, à 14 ans, dans une finca mexicaine, durant 7 mois, loin de tout village, dans des conditions de vie très précaires, pour attendre une opportunité de toréer. On ne lui faisait rien tienter, il rongeait son frein avec Jorge, camarade d'infortune, resté son ami depuis, qui, d'ailleurs était son copilote la nuit dernière !
« Ils voulaient tous me tester, savoir si j'en voulais ou si j'allais me désespérer. Mais, moi, je n'avais pas décidé d'être torero, j'avais décidé d'être Figura del Toreo ! » et le jeune Sébastien, à qui, chaque semaine, on promettait un engagement qui s'annulait chaque fois, fut rapatrié en Europe, au bout de 5 mois, à cause des amibes, il se soigna. Puis, on lui annonça qu'il y avait enfin une possibilité de novillada au Mexique. Il revint, ce fut encore annulé. Il patienta encore 2 mois, en commençant par tienter, puis, constatant sa tenacité et sa passion, il fut enfin inscrit au cartel d'une course. Son long chemin débuta à partir de ce moment-là.
Puis, il a évoqué la formation et la difficulté de transmettre le savoir. "Certains Maestros del Toreo ne pourront jamais être des Maestros car il ne suffit pas de savoir faire les choses, encore faut-il les expliquer pour que les élèves les fassent !". Il s'est remémoré ses grands Maîtres qui l'ont entraîné, qui lui ont passé des petits trucs, comme il dit, notamment pour mettre à mort, qu'il s'empresse de mimer devant les élèves, avec une chaise figurant le toro, face à lui. C'est très beau de voir ce Monsieur avec une telle passion, une gentillesse et la douceur d'expliquer, tranquillement, que, tout ça, c'est du travail, encore du travail et toujours du travail !
Il enchaîne en nous confiant qu'il va intensifier l'entraînement car il sent qu'il doit encore se mettre la pression pour rester au niveau de figura del toreo, car y arriver est une chose, y rester des années est une performance bien plus difficile.
Ce jeune homme n'a pas dormi, il continuerait à nous parler toros encore longtemps et nous, nous pourrions l'écouter et échanger avec lui encore et encore, mais, il n'a pas vu sa petite famille, depuis une semaine, il nous a consacré une très long moment et nous devons maintenant le laisser à sa vie personnelle.
Patricia et les petites le suivent, il nous raccompagne. En chemin, il nous dit que la prochaine fois que nous viendrons, il prendra plus de temps pour nous, qu'il s'organisera mieux, en s'excusant presque, alors qu'il vient de nous donner un grand moment de souvenirs et une expérience que peu d'aficionados ont la chance de vivre. Son prochain rendez-vous est à Séville, dans quelques jours, nous n'irons plus le voir avec les mêmes yeux après ce moment ! Merci MAESTRO CASTELLA !
Le soleil commence à devenir sérieux, enfin, puisqu'il paraît qu'il fait chaud en Andalousie !
Nous avons tous nos billets en main et après que les petits aient littéralement dévalisé le magasin du sastre voisin, nous voici sur les gradins, au poulailler.
Je n'ai jamais été une fan de Séville. Comme le disait un ami matador madrilène, en se moquant un peu, "c'est un gros village !", ce qui nous amusait beaucoup, d'ailleurs. Je reste bien plus fascinée par son port commercial, sur le Guadalquivir, que par le côté "Sevilla tiene una cosa que solo tiene Sevilla", qui m'ennuie souverainement ! Mais, là, je dois avouer que, malgré tout, ce ruedo ocre, les tendidos pleins, d'une nombreuse jeunesse, cela m'enchante.
Malheureusement, comme chaque fois que j'y venais, je n'y ai pas vu grand chose d'excitant, malgré de beaux gestes de Pablo Aguado, qui avait un peu la pression et qui s'en est pas mal sorti du tout, même si les pinchazos se sont un peu succédés. Il semble que ce jeune novillero a quelque chose, mais qui peut dire, dans ce genre de parcours, ce qu'il adviendra de tous ces jeunes, plein d'espoirs !
Nous sortons des arènes sous un ciel bleu nuit superbe. Demain, il va faire beau et un entraînement près d'Ubrique est prévu, nous aurons un peu de route, mais, es la vida de los toreros !
Nous filons vers le sud, dans la région des villages blancs, plus précisément vers El Bosque. La route est agréable, des collines et des vallons, beaucoup de moutons et de chèvres, des petits villages, au fond des vallées. Nous passons devant une superbe placita de couleur rouge, précisément celle du Maestro Jesulin de Ubrique.
Là-bas nous attend l'excellent Eduardo Ordoñez, président de l'association des 26 écoles andalouses. C'est un homme charmant, ami de longue date, heureux de vivre et de travailler pour le développement de la tauromachie et de la formation des novilleros. De plus, Eduardo est un véritable test ambulant du niveau de compréhension du parler espagnol. Son accent andalou typique lui vaut, quelques fois, lorsqu'il est en réunion, à Madrid, que ses interlocuteurs lui demandent de répéter "despacio" - c'est dire !
Sa fonction, depuis 30 ans, lui confère une connaissance très fine de la cartographie des élevages, des placitas de tienta et autres ganaderias pour s'entraîner.
Il nous a trouvé deux petits añojos car il faut que les plus jeunes, encore très débutants puissent, eux aussi, sortir, s'essayer, parfaire leur apprentissage, avoir des sensations et des émotions.
Une petite route et un chemin très escarpé plus tard et nous voilà, à flanc de colline, dans la finca "Las rosas", dominant une immense vallée, entourée de sublimes montagnes. La région est très connue pour le tourisme de randonnée et de sport d'escalade.
Une placita, au bord d'une prairie en pente, une vue à couper le souffle, des toutous qui arrivent pour nous accueillir, là, nous sommes au coeur du sujet, c'est un enchantement !
Durant deux heures, les "petits" vont se régaler. Le bétail permet un entraînement, en douceur mais sérieux. Quentin, Nino, Raphaël, Killian, Arthus, Geoffrey, Fanny, sous la vigilance des plus expérimentés, El Rafi, Solalito et Antoine, feront la brega.
Nous repartons, enchantés de cette séance. Nous avons de la route, car nous débutons notre remontée vers le nord, tout le long du Portugal.
3 heures de route pour atteindre Mérida. Demain, au programme, un entraînement, en fin d'après-midi, chez l'ami Carlos CRIADO, où Solalito pourra prendre des nouvelles de Jugador, novillo qu'il avait indulté l'an dernier, sous les yeux du Maestro Manuel CABALLERO. Le matin, une visite de la ville romaine de Mérida, qui regorge de monuments, du musée, un endroit très réussi, un fond exceptionnel et un bout de la via de la Plata, très émouvante à découvrir !
Il n'y a pas que les toros dans la vie ! Mérida est une ville pétrie d'histoire et regorge de monuments et ponts romains. Ici, c'est simple, tous les dix mètres, un superbe mur de pierres, admirablement et judicieusement bien conçu, une statue, un temple, un théâtre. Aussi, un peu de culture et d'histoire, ça ne fait pas de mal.
Au programme, visite du théâtre aux murs très bien conservés, de l'amphithéâtre romain, doté d'une salle cruciforme, à l'instar des arènes de Nîmes. Les jeunes toreros ne se sont pas privés de dessiner des naturelles imaginaires sur le sable de ces arènes.
C'est beaucoup de marche, mais cela vaut la peine, un peu de footing en ville, dirons-nous.
Autour de nous, le campo se dévoile, en ces jours de printemps, des étendues immenses de prairies de couleur bleu lavande ou jaune colza, avec des chênes superbes, découpés, torturés, comme des personnages de contes fantastiques et toujours les toros et les petits cochons noirs, heureux comme des papes !
Nous atteignons la Nava de Santiago, qui est au beau milieu de nulle part. Nous arrivons en pleine heure du déjeuner, c'est encore plus calme que ça doit l'être d'habitude. Après une vuelta dans les rues désertes, un gentil monsieur nous dit que l'on trouvera à manger sur la place du village.
Une voiture et deux minibus, c'est presque un cirque qui déboule, ça crée de l'animation. La culture ça creuse, Il faut pouvoir nourrir 18 morts de faim. Nous repérons un bar avec restaurant au fond de la salle. Une dame souriante sort la tête de la cuisine : "Je peux vous faire des platos combinados pour les petits et pour les adultes, faites-moi confiance !".
En effet, un petit moment plus tard, nous nous régalons de sopa extremeña, de morue gratinée et de filet de porc à l'ail !
La journée des toreros n'a pas encore commencé : après cette matinée au rythme soutenu, les plus grands vont faire la sieste, dans les minibus, pendant que les plus jeunes improvisent une partie de foot endiablée, sur la place du village.
Une longue allée de platanes ouvre sur la placita. Carlos est déjà arrivé. Nous nous retrouvons toujours avec joie, c'est un bel homme, la cinquantaine grisonnante, souriant, il est rayonnant et heureux de notre venue. Tout le monde s'active, les plus jeunes ne s'habilleront pas aujourd'hui, ils aideront à passer le matériel, ce qui fait aussi partie de l'apprentissage. Le picador est là, car les novillos prévus pourraient très bien sortir en novillada piquée. Les professeurs partent voir le bétail, du haut des corrales, le choix est fait, la séance peut commencer.
Le premier à sortir est pour Solalito. Très vite, nous comprenons tous que c'est un excellent becerro. Nous pensons même qu'il pourrait y avoir encore de l'indulto dans l'air, tellement le comportement est brave et noble. Malheureusement, Solalito n'y est pas, il n'est pas dans un bon jour. Nous l'avions pourtant vu extraordinaire, un an auparavant, dans ces mêmes arènes ! Il passe à côté, ses professeurs le lui disent, à la fois en colère de voir gâcher du si bon bétail et en même temps, voulant lui donner toutes leurs observations, en direct, pour qu'il y réfléchisse et puisse corriger au plus vite. Solalito est le premier à être bien triste car nous savons qu'il voudrait tant que les choses se passent du mieux possible. Ses professeurs vont même jusqu'à lui annoncer qu'il sera privé de la mise à mort de son second novillo !
C'est au tour d'el Rafi. Depuis le début du stage, il a pris de l'assurance. Il semble plus à l'aise, s'active à bon escient quand ses camarades sont en piste, il est en train de passer une étape. D'ailleurs, il ne se doute pas encore que c'est aujourd'hui qu'il passe un cap, avec ces novillos là, forts, puissants, sérieux. L'entrainement sert à mettre les élèves en situation plus complexe qu'ils ne le seront quand ils toréeront durant la temporada. Ses professeurs sont là pour indiquer, aiguiller, conseiller et voir comment l'élève s'en sort.
Un silence total s'est naturellement fait, nous sommes tous observateurs de ce moment initiatique !
Les gestes sont bons, le novillo impose le respect, mais n'a aucune mauvaise réaction. C'est un entrainement de luxe.
La mise à mort est imparfaite, le garçon est tendu, le visage fermé, l'exercice est âpre, mais nécessaire, sur le chemin d'un novillero de son âge.
Le debriefing est immédiat, beaucoup de choses sont à revoir, les professeurs sont exigeants mais l'art est difficile. Nous nous risquons à quelques remarques, car nous voudrions voir des jeunes heureux d'être là ! Il leur faut résoudre plusieurs équations à beaucoup d'inconnues.
On y retourne. C'est encore au tour d'El Rafi, devant un excellent novillo, un peu plus fort encore (220kg), on est en plein rite initiatique ! On voit qu'il a entendu les remarques, il essaie d'appliquer les conseils, de corriger, ce n'est pas encore complètement ça, pourtant, il est sur la bonne voie. Il met parfaitement en suerte au cheval, le novillo pousse fort sous la pique. Bien sûr, il reste du chemin pour faire passer de l'émotion vers les tendidos. Excellent à la pose des banderilles, c'est un bon moment partagé. On se régale, pendant de bonnes séries, arrachant les olés des quelques spectateurs que nous sommes. Il faudra du temps et toujours du travail, du travail, sans cesse ...
Les professeurs, déçus de la contre-performance de Solalito lui ont dit qu'ils le jugeraient au quite et décideraient s'il tue le deuxième becerro prévu pour lui.
Finalement, l'épreuve est réussie, il mettra à mort le quatrième becerro.
Les conseils ont porté leurs fruits, il est très motivés par les fermes propos de ses professeurs qui ont beaucoup de mal à accepter que l'on passe à côté d'un si bon novillo !
Solalito se bat comme un lion, il est dans un moment compliqué, "pas dans son assiette" dirais-je pour résumer. Il réussit quelques beaux gestes. La mise à mort est très volontaire, il s'en sort pas mal !
Tous les deux ressortent, lessivés, exténués, ils ont tout donné, ils sont très pensifs, beaucoup de choses ont été faîtes, dites et ils vont avoir besoin de temps pour "se le digérer" ! D'ailleurs, les voyages formant la jeunesse, les 3 heures de route qui nous séparent de la Fuente de San estéban, notre ultime étape, seront des plus utiles !
23h30, nous arrivons, un peu épuisés, al Cruce, accueillis par le toujours sympathique Angel, qui n'a pas hésité à veiller, pour nous répartir les chambres.
Demain, pour clore le stage, il est prévu un programme bien tassé, avec 5 novillos mis à mort le matin et 5 vaches, l'après-midi. On ne chômera pas, car ensuite, ce sera le chemin du retour, 1200 km dans la nuit !
JOUR 7 :
Ce matin, il pleut et il fait froid. La Fuente est à 800 m d'altitude et ce n'est plus le printemps, c'est l'automne !
Nous devons décaler, à 11h, vers une placita, juste après le village. Aussi, les professeurs ont tout le temps pour débriefer les élèves, car beaucoup de choses restent à dire.
Dans le salon-musée du Cruce s'improvise un cours de tauromachie. Les jeunes se regroupent, attentifs et tour à tour, les 3 Maestros-professeurs se relaient pour expliquer encore et toujours : "Mettez le toro en condition pour qu'il puisse vous aider !". Nino fait le toro; "La souplesse, c'est l'épaule, pas le poignet !" ou encore, "le toreo, c'est du haut vers le bas, d'en dehors vers le dedans et surtout, derrière la hanche, sinon, ça ne vaut rien !". Tous sont très attentifs.
Puis, tout à trac, nous nous retrouvons dans les véhicules, le Ganadero Don Javier Sanchez Arjona arrive pour nous conduire, dans une finca voisine. C'est un homme charmant, souriant, à l'oeil malicieux, qui, depuis deux ans, clôture notre stage.
Même sous la pluie, ces paysages sont majestueux, nous sommes au milieu des plaines, bien vertes, les chênes verts argent, les cochons noirs et les vaches rouges, noires, le ciel gris blanc... c'est un superbe tableau.
Nous passons la barrière texane et entrons dans la finca. C'est très "campero", mais assurément fonctionnel. Il pleut de plus en plus, mais, les professeurs et le ganadero ont dit "Pa'lante !". Nous enfilons nos imperméables avec conviction et nous transformons en schtroumpfs verts, ce n'est pas très glamour mais totalement nécessaire.
La vie se déroule en direct sous nos yeux, pendant que les plus aguerris se préparent, une vache vient de mettre bas, une autre se repose avec son veau, non loin de là, dans un des corrales.
La placita est charmante, ici, point de sable ocre : de l'herbe fraîchement tondue, nous sommes à la campagne. De beaux chevaux, juste à côté, sont attentifs à ce joyeux remue-ménage que nous causons.
La leçon de ce matin sera dense, 5 novillos pour El Rafi et Solalito, il faut en profiter, car c'est intense, certes mais la temporada qui se prépare le sera tout autant !
Pendant que l'on affeite les novillos un peu plus forts, le premier, plus petit, sort pour Solalito. La piste est boueuse par endroits, il faudra faire avec !
Les leçons portent leurs fruits, même si l'exercice est difficile, le novillo exigeant, Solalito fait de très jolis gestes, ses compagnons, derrière les burladeros, sont attentifs, avec leurs capes. Tout se passe bien. Le rappel de ce matin était bien nécessaire !
Pour El Rafi, c'est pareil, il confirme une certaine assurance, mais, il faut retravailler la mise à mort.
Puis, pendant l'entraînement, Geoffrey sort pour tirer quelques séries, très propres, très efficaces. Ce garçon discret, qui a grandi, s'est affiné, nous a donné à voir, à chacune de ses sorties, de très belles attitudes.
Aussi, El Rafi suggère à ses professeurs qu'ils pourraient peut-être envisager de lui faire tuer "son" novillo. Après un rapide coup d'oeil, entre eux, les épées s'échangent entre Rafi et Geoffrey; en quelque sorte, une petite alternative des champs ! Ce dernier va, lui aussi, franchir un cap, c'est toujours émouvant pour nous qui les suivons, depuis plusieurs années, de le voir tuer son premier toro.
Geoffrey s'en sort d'ailleurs très bien, nous sommes tous très heureux de ce joli moment.
El Rafi et Solal enchaînent avec, chacun, un novillo enracé, "demandant les papiers". Ils réalisent une performance prometteuse, pour la suite de leur formation, c'est encourageant.
La pluie a cessé, le soleil s'est levé, il est 15h30, nous retournons déjeuner au Cruce. Javier Sanchez Arjona nous accompagne. C'est l'occasion, pour l'ensemble des élèves, de se placer en demi-cercle, devant la table des adultes, ils veulent remercier le Maestro Le Sur, le Maestro Varin et le Maestro Villanueva pour l'organisation d'un entraînement de cette envergure, pour la qualité du bétail, les conseils et surtout les souvenirs qu'ils en ont déjà. Chacun ou presque tient à dire son petit mot, même les plus timides, un peu maladroitement, c'est très touchant !
C'est un joli moment et Javier est enchanté d'avoir été témoin de ces remerciements. Vient le tour d'une accompagnatrice, qui souhaite exprimer son ressenti, elle, qui a longtemps enseigné, est enchantée de voir des jeunes passionnés, vivre une si belle expérience, qui les mène sur le bon chemin, le chemin de la vie !
17 heures, nous filons vers la finca de Javier, pour une tienta des 5 dernières vaches du stage. Le temps est très menaçant mais ça devrait aller.
Elles sont piquantes et demandent du savoir-faire. Les plus jeunes observent, depuis les burladeros, les plus avancés, qui doivent se concentrer, car les bêtes sont enracées et exigeantes. Ce stage a été tellement intensif que, vu le temps très orageux et le niveau de fatigue de tous, la dernière vache ne sera pas tientée. Nous rentrons le matériel dans les coches, le temps d'une dernière photo avec le ganadero, puis nous repartons tous au Cruce, sous une pluie battante...
Le temps d'une douche, toute la compagnie se répartit dans les deux minibus, s'installe aussi confortablement que possible pour 1200 km de route. Après 22 bêtes toréées, dont 9 mises à mort, voilà un stage qui se termine bien.
Nous nous séparons du groupe car, de notre côté, nous repartons avec Solalito, qui va toréer dimanche prochain, dans les arènes de Sanlùcar de Barrameda.
C'est ça la vraie vie de torero !