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​Chroniques salmantines 2025

Jour 2.


Hier soir, un vent de folie avait soufflé à la fin du dîner. Jean-Yves proposait de partir vers le golf à pied (une heure de route), d'aller jouer 9 trous, puis de revenir (une autre heure de route) avant l'entraînement, soit une quinzaine de km au total. Il suggérait un départ à 7h du matin et un retour peu avant midi. Il voulait que les jeunes puissent découvrir dans les bonnes conditions le golf situé non loin de chez nous. Pour ma part, je n'étais pas trop enclin à participer à cette épopée. La nuit permettrait de décider.  

 Nous avions aussi appris que nous serions rejoints le lendemain par 5 personnes pour le dîner. Pepe Fraile, l'époux de Carolina, Javier l’inséparable ami de Pepe, Iñigo Sepúlveda, qui, nous sachant près de chez lui, voulait venir nous voir, Éric, qui semblait avoir résolu le problème des cages de ses fauves et enfin, le Maestro Juan Leal. Nous avions beau nous recompter, dans tous les sens, cela ferait une table de 13 personnes. "Horreur ! malheur ! " avait dit Elisabeth, qui n'avait pas manqué de nous raconter que, les deux fois où elle s'était retrouvée treize à table, il lui était arrivé des gros soucis. Pour elle, il n'était absolument pas question de rester dans cette situation et elle avait proposé de partager la table des jeunes toreros, le temps de la soirée. Jacques-Olivier, lui qui adorait le chiffre 13, nous regardait avec des yeux un peu amusés. 
Pour ma part, j'étais assez d'accord pour trouver une solution de repli, mais, dans ces terres ibériques, ce qui était prévu au départ n'était pas toujours ce qui arrivait dans la vraie vie. Nous improviserions au moment venu.  

Ce matin, vers 9h, j'entendis les roulettes d'une valise faire grand bruit dans le couloir.  J’avais immédiatement pensé que c'était le maestro Juan qui arrivait d'Ambato, en passant par Guayaquil, Quito et Madrid, de retour de son échappée sud-américaine. 
Encore un peu décalé par les horaires, il n’en était pas moins souriant, proposant d'organiser un peu ses affaires dans la chambre, puis tout de suite après, de commencer la deuxième journée d'entraînement. Quel phénomène !  

Quand je suis descendue au bar pour prendre mon petit-déjeuner, il n'y avait personne, cela tranchait catégoriquement avec l'ambiance habituelle car il régnait toujours ici un joyeux désordre, entre les livreurs de colis, les travailleurs qui s'arrêtaient pour prendre un café ou un chupito, les acheteurs de cigarettes etc…  
Jean-Yves et Marc avait tenu bon, ils étaient partis au golf à pied. Rémi était parti à Salamanque avec Marco et Pablo, tenter un rendez-vous à la sécurité sociale pour obtenir un numéro de sécu espagnol. Mais, comme toujours dans les administrations, dans n’importe quel pays au monde, une faute d’orthographe dans son nom de famille avait grippé la machine. On le balada de bureaux en bureaux, l’affaire était loin d’être simple ! Une sorte de tourisme administratif en quelques sortes.

Valentin et Sacha s'entraînaient déjà, sous un ciel gris limite menaçant. Il était possible qu'il pleuve dans l'après-midi. 
L'immense écran de télévision repassait en boucle les informations à sensation de la dernière affaire de corruption qui remuait toute l'Espagne, ainsi que les comptes-rendus du président de la communauté de Valencia, venu devant les micros se justifier à propos des inondations causées par la Dana et sa manière de ne pas avoir bien géré les secours. Bref, tout roulait tranquillement, comme d'habitude. 

Pedro, toujours de bonne humeur, régnait en maitre au bar de la Rad, sous l’œil toujours vigilant de la belle Ana, qui menait son affaire avec une autorité naturelle.

Alors que la salle était très tranquille, le Maestro Juan et le Maestro Le Sur étaient déjà en train de préparer les cours et l’interrogation écrite à venir. Ces jeunes allaient avoir droit à une série d’enseignements qui devaient être appris, sus et maitrisés par tout torero digne de ce nom. On était à l’université, on avait quitté la petite section !

Installée tranquillement dans la salle du bar, je me remis à penser avec amusement à cette habitude qu’avaient Juan-Luis et Carolina Fraile, du haut de leur palco. Depuis toutes ces années où nous venions dans leur élevage, ils s’installaient toujours, lui près de la porte en fer forgé à l’entrée du palco, elle, à l’autre bout. Ils ouvraient leur baie vitrée respective et donnaient chacun des indications, à forte voix, pour conduire la tienta, tapant chacun très fort de la main les baies vitrées, pour que la bête s’arrête où ils le pensaient idoine. Juan-Luis s’adressait à Carolina avec un "Hermana" qui conférait une certaine solennité à ces moments laborieux. Ici, rien ne changeait non plus.

En fin de matinée, nous recevions un joli message, très touchant de la part de Sofiane qui expliquait qu'il était tout à son deuil et qu'il ne viendrait finalement pas. Il ne pourrait pas apprécier pleinement cette expérience unique. C’était tout à son honneur et le Maestro Le Sur était très ému en nous lisant ce message. Nous avions une forte pensée pour lui qui traversait un moment si douloureux. 

 

Salamanca ou Napa Valley
Salamanca ou Napa Valley
Après le déjeuner-un riz succulent que nous avait concocté Joaquin-nous sommes partis vers notre destin, en l’occurrence la ganaderia Fraile. 15h22 arrivée à la finca. Aujourd'hui, le cheval n'est pas là. Puis, tout à coup, il arrive et l'habillage débute. 
 
On se croirait tout droit dans le très célèbre fond d'écran des débuts de Windows XP avec les vallons ondoyants et verdoyants. Un ciel pommelé de nuages, paraissant posés sur une vitre, tout est calme, les mêmes deux cigognes sont là, le bruit métallique du portail se fait entendre comme hier... Ambiance. 
 
Juan est en plein décalage horaire, il n'a pas voulu aller se reposer sinon, il se sentait capable de faire le tour du cadran.  
Le soleil d'hiver est chaud et on se prend rapidement pour un lézard cherchant un coin au cagnard. 
 Attente, patience, angoisse, impatience... 
 On regarde les vaches du jour, parquées un peu plus loin. "Elles paraissent plus petites que celles d'hier !" me lance Elisabeth. C'est trompeur car elles semblent de plus en plus imposantes et sérieuses plus elles se rapprochent. Et quand tu les as devant toi, elles sont toujours énormes ! 
Les jeunes, pour tromper l'anxiété et se préparer, s'échauffent. Le maestro Le Sur donnent d'ultimes recommandations en observant les gestes qu'ils effectuent au ralenti. 
 Pour l'instant, tout est calme. 
Mais, cela ne va pas durer.  
Le concert de percussions aura lieu aujourd'hui encore. A partir de quelle heure ?
 16h10. Rien ! 
 Puis, un autre vacher apparaît. Il empoigne un bâton terminé par un sachet de pienso ouvert en deux, c'est un leurre pour diriger les vaches hors ou vers les chiqueros. On avance, mais le retard est réel. 16h15, toujours pas de Juan Luis ni de Carolina. 
On va finir à la nuit, je le sens.  
 Jacques-Olivier ayant tellement plaisir à être ici a inventé un nouveau concept : l'ORTF : l’Obligation de Rester sur le Territoire des Fincas. Il ne veut plus repartir ! 
Il a raison. 
Comme à son habitude, le Maestro Juan Leal est partout, veille sur tout et tous, vigilant. C'est un crack. 
16h26. Juan Luis arrive. Yesss…
 Branle-bas dans les chiqueros, bruit de portes métalliques qui s'ouvrent, se ferment, ouverture des persiennes dans le palco.
16h30. Ça démarre. 
 1ère vache 
Marco et Sacha. 
 
La vache se casse le piton droit net. 
Marco doit se croiser plus. Toréer de plus près, il est là pour essayer des choses, il faut profiter de l’opportunité de ce laboratoire. 
"La corne lui fait mal ! "dit Juan Luis, "on va devoir lui couper la corne. ". Il est vraiment chagriné.
 Ces tentaderos sont des moments privilégiés, il n’y a personne d'autre que nous. Il nous faut mesurer la chance d'être là. 
16h53. Sacha sort. 
La vache se réserve beaucoup. Ce n'est pas facile.
Il tente tout, de face, de dos, main droite, main gauche, de très près. Il se met entre les cornes. Elle ne veut rien savoir. Sacha insiste, ne désespère pas, c'est formateur.  
17h01, le coiffeur brandit les ciseaux.  
Encore faut-il attraper l'animal qui n'est pas trop d'accord. Courir à la queue, facile à dire. Pablo est champion pour cela. 
Juan-Luis lui administre des antibiotiques. 
Puis, il revient très contrarié. La vache a eu un coup de sang. Elle est morte.
17h10, Carolina arrive. Elle doit gérer l'informatique, les chemins embourbés. Tout. 
17h14, Miguelón, le voisin et ami de la famille arrive aussi, toujours souriant. Un beau bébé de 120 Kg, fan de rugby, il en a le style. 
Sortie de la 2ème vache. La 6484. 
Sacha. 
La vache se fait prier pour aller au cheval. Ça dure, dure, puis elle démarre. 
17h21 "A torear. " 
Re-Sacha.  
Il est plus là qu'hier, mais il lui faut laisser la muleta devant. Rester devant. 
Il va beaucoup mieux. Les conseils d'hier et la nuit par-dessus ont fait effet. Il finit par lier deux bonnes séries. 
17h30 : Éric notre magicien practico apparaît, souriant, il est radieux après 7 heures de route, ravi d'être là. 
Pablo : 17h33.
La vache est noble, Pablo torée bien. 
 
Simulacre de mort. Attrapage de queue, coiffage, sans shampooing ni brushing. "Je vous coupe tout mais tout en gardant la longueur !". 
17h39. Rentrée au toril. 
17h40 3ème vache. 
 Le vacher sort du burladero pour la placer a cuerpo limpio. Véritable Trompe-la-mort ce monsieur. 
Pablo à nouveau. 
 La vache s'emploie tellement dans le cheval, que l’on entend un bruit sec, comme si on coupait du bois. À nouveau, la corne gauche semble touchée, cassée net. 
Elle l'est. 
Juan Luis est très affecté par cette série noire. On le comprend. 
Est-ce le peto, la protection du cheval, son étrier, le pienso ? Bizarre.  
Pablo torée bien. 
Valentin sort à son tour. 
18h02, valse de Vienne. Plutôt rodéo à Dallas Fort Worth ! 
 La première vache est évacuée par tractopelle. Morte d'un coup de sang. Ainsi va la vie au campo.
18h08 4ème vache
 Valentin pour la parer. 
Il se fait accrocher à la cape, puis à la muleta. Juan-Luis demande qu'on fasse attention à cette vache. Elle s'est fait mal au cheval. Tout doux ! 
18h15 : Miguelón et Juan-Luis devisent sur les origines du bétail. 
Excellente vache. Bon toreo de Valentín qui a compris la distance.  
18h23, Rémy sort de second. 
Il est bien, à l’aise, élégant.
Banderilles pour Sacha et Pablo. 
18h31. La vache rentre au bercail 
La 5ème vache, la 2570, celle de 18h34. L’ultime. Je n’ai pas vu le temps passer, vraiment. 
 Assez forte. 
Rémy. 
Marco. 
Elle aussi s'emploie fort au cheval. 
Chez les Fraile, on ne fait rien à moitié.
Le cheval sort.
Soleil rasant à 18h41. Belle lumière de fin d'après-midi. 
Rémy au capote. Très élégant, très efficace. 
L'ombre portée sur le mur me fait penser que Rémy va affronter deux vaches, l'image est assez cocasse. 
Le maestro Juan Leal lui donne des instructions. Rémy se régale et nous avec. Il nous enchante tous, Il la veut sa place à l'école de Salamanca. Il la mérite en tous les cas. Il en est digne. Il n’a que 16 ans, il peut beaucoup progresser ici.
Passage du cheval déshabillé non loin. 
C'est un festival de Rémy. Il a le sourire, la banane, ça fait plaisir à voir. Ce qui me meut ! 
Elisabeth est ravie, elle n’en perd pas une miette.
Marco pour finir.
Cette vache est fantastique. Cela fait 16 minutes qu'elle prend tout avec noblesse. 
Pablo.
La vache ouvre la bouche juste maintenant. 
Mais, elle fonce dans le leurre, encore et encore. Incroyable. Pepe est très fier de la qualité du bétail de son épouse.  
20 minutes ! 
Sacha sort. 
19h01. 
Pablo aux banderilles. 
Bachouchage, tout le monde arrive à la rescousse. Tentative. Re-bachouchage. 
Coiffure.19h09. 
Quelle vache ! 
 

 Le soleil s’est couché et nous sentons qu’il va nous falloir très vite nous réchauffer dans les voitures.
On pourrait penser que la journée est finie. Que nenni. Les deux maestros ont préparé des réjouissances pour après la douche. La théorie, l’histoire, l’étiquette, ce qui se fait, ce qui ne se fait pas si l’on veut être respectueux des us et coutumes dans ce milieu…

Ce soir, finalement, Pepe et Javier ne se joindront pas à nous pour le diner. Ils viendront demain pour le petit-déjeuner. Ouf, nous avons failli être 13 à table !

Demain, changement d’herbage : la ganaderia Sepùlveda nous accueille. La novillada d’Arzacq dimanche dernier a été un succès et le ganadero revient tout auréolé de succès, tout pimpant comme un gosse qui vient d’avoir un bon point.

Nous verrons tout cela demain.


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